Sipilou est un département de la région du Tonkpi à l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, à la frontière avec la Guinée Conakry. Depuis quelques mois, ICI1FO a appris que les paysans et autorités coutumières se plaignent de l’attitude des gendarmes. Ils les accusent de harcèlement et de saisie illégales de cacao.
» Nous recevons régulièrement la descente de gendarmes dans nos villages et nos champs. Ils font des saisies de cacao et de café sous prétexte que les gens vont vendre ces produits en Guinée »,accuse le Chef de canton de Sipilou. Selon lui, les agents des forces de l’ordre ont fait une saisie de 230 sacs de cacao à Glanleu. La saisie a été opérée dans une plantation. L’affaire a été envoyée en justice et le juge aurait ordonné que le cacao saisi soit rétrocédé au propriétaire mais jusqu’à ce jour rien a été fait.
L’autorité coutumière signale également des saisies à Bloma, à Sema et à Glan-Goualeu. » Ils sont arrivés nuitamment dans des endroits en tirant des coups de feu en l’air. Les gendarmes viennent ainsi constamment traumatiser nos populations. Nous n’avons plus la paix. Ils estiment que les saisies sont faites dans le cadre de la lutte contre le trafic du cacao et du café vers la Guinée. Mais pour ça, ils auraient pu procéder à ces saisies à la frontière au lieu de les faire dans nos magasins et nos champs. C’est un abus d’autorité extrême. Il faut que la hiérarchie intervienne pour ramener le calme et la justice car j’en ai marre de calmer les ardeurs des populations », s’indigne le chef de canton.
Même cri d’indignation à Zouahonien. Notamment chez Benjamin Doué, président de Société Coopérative SCOOPS-CA-Kahiga. Des gendarmes sont venus fermer son magasin après y avoir extrait 12 tonnes de cacao et 3 tonnes de café. » Les gendarmes disent que mon magasin n’est pas déclaré. Pourtant, nous avons bel et bien déclaré nos magasins au Conseil Café-Cacao. Mes huissiers sont allés voir la brigade de gendarmerie de Zouan-Hounien. Elle dit qu’elle a été envoyée par le Conseil Café-Cacao. J’ai donc été me renseigner auprès de la direction locale de ce conseil à Danané, et là-bas on me dit qu’on n’a commis personne pour saisir les produits et fermer mon magasin. Ces produits appartiennent à des producteurs différents, ils attendent leur argent », rapporte M. Doué. » J’ai trois magasins à Zouahonien. Ils sont tous codifiés et agréés. Alors je comprends pas cette injustice », ajoute-t-il.
Joint au téléphone par un confrère, ICI1FO apprend que M.Koné Brahima Yves, Directeur général du Conseil Café-Cacao a dit qu’il lui faudrait avoir des précisions de terrain avant de mieux se prononcer. Toutefois, il a indiqué que des gens ont créé des ports secs dans la zone ouest du pays et s’adonnent à des pratiques illicites. Ils vendent le cacao dans des sacs non conventionnels, les stockent dans des magasins informels et les produits prennent des destinations inconnues. « On pèse le cacao, on donne le connaissement mais le cacao n’arrive jamais à Abidjan », affirme-t-il. Pour ces raisons, il a révélé avoir ordonné la suspension de 158 coopératives.
La SCOOPS-CA-KAHIGA dont le magasin a été fermé fait-elle partie des coopératives suspendues? Pour avoir une réponse à cette question M.Koné Brahima nous a demandé de joindre M.Dadié, Directeur de la commercialisation interne au Conseil Café-Cacao. Mais toutes les tentatives pour joindre ce dernier ont été vaines. Nous lui avons laissé un SMS pour dire l’objet de nos appels. Il a promis rappeler sans jamais le faire.
Le Colonel Brou du Groupement Spécial pour la Lutte contre l’Exploitation illicite des produits agricoles (GSLEPAD) a été plus coopératif : « Le Conseil Café-Cacao a constaté une baisse de la production nationale donc il a demandé de renforcer la lutte contre le trafic illicite du café et du cacao. Sipilou fait partie des zones réputées pour ce trafic. Malgré les campagnes de sensibilisation, les populations n’entendent pas raison. Ce qui a accéléré le renforcement du dispositif de lutte. J’ai été renforcé par le colonel Zo Loua », indique le colonel. « Maintenant, pour ce que dit le chef de canton de Sipilou, il faut savoir que c’est comme le policier et le trafiquant. Quand on affine nos stratégies, les trafiquants aussi affinent leurs stratégies. Au départ, ils prenaient les produits dans des camions, maintenant, ils utilisent des motos. Ils stockent les produits dans des maisons non agréées juste pour ne pas déclarer les stocks. Ils conditionnent le cacao dans des sacs non conventionnels et vont les cacher dans des champs. Et quand nos indicateurs nous en informent, on s’y rend et on y fait les saisies. Alors que M.Doué Sebastien saisisse le bureau du Conseil de sa région, s’il estime abusive et injustifiée la saisie de ses produits. Si, après cela son affaire n’est pas réglée, il peut saisir la Justice. La gendarmerie ne peut pas vendre sa production. Le Conseil non plus », conclut le colonel Brou.
Cette enquête a été initiée début mars. Aux dernières nouvelles, la situation sur le terrain reste toujours tendue avec usage d’armes à feu et saisie de produits. Selon des sources locales, la semaine dernière, à Gueudahoupleu, un village de Zouan-Hounien, des agents des forces de l’ordre ont fait une descente musclée. Ils auraient tiré de nombreux coups de feu en l’air. C’était la panique générale. Dans cette atmosphère, pris de peur, un jeune est tombé dans le fleuve Néhon et s’est noyé. Dans la nuit de jeudi 11 à vendredi 12 avril, à Goualeu, village de la sous-préfecture de Danané, à 25 km de la frontière avec la Guinée, des agents ont procédé à la saisie de 38 motos, de 25 sacs de café vert et 135 sacs de cacao séché. » Pourquoi saisir des produits dans des magasins, dans un village situé à 25 km de la frontière? Qu’est-ce qui prouve que ces produits étaient destinés à la vente hors du pays? On nous avait dit que c’est à la frontière qu’on saisissait les cultures et en flagrant délit. », déplore un responsable syndical du milieu agricole sous le sceau de l’anonymat.
Depuis quelques jours, à Gouépouta, sous-préfecture de Daleu, les populations ne vont plus au champ. Car des agents des forces de l’ordre y sont constamment et procèdent à des saisies des productions. » Quand ils font ça, et qu’on leur donne de l’argent, ils libèrent le cacao. À Gouépouta, un planteur a été dépossédé de la somme de 700.000FCFA. C’est le far-west ici. Moi j’accuse le Conseil Café-Cacao qui, au lieu de se préoccuper des conditions de vie des planteurs participe à leur spoliation et leur harcèlement », dénonce encore le responsable syndical de la zone agricole de l’ouest.
Christ Yoann pour ICI1FO